Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/170

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d’une félicité perdue m’oppressait douloureusement le cœur, et souvent des larmes silencieuses coulaient le long de mes joues pâles sans que j’en eusse conscience. La nuit, parfois, je pleurais en rêvant, et le matin je trouvais mon rude traversin tout mouillé de cette rosée amère. Dans des songes plus heureux, je me voyais sur le perron d’une villa, montant avec vous, au retour d’une promenade, un escalier blanc tacheté de découpures bleuâtres par l’ombre de grands arbres voisins. J’étais votre femme et vous me jetiez des regards caressants et protecteurs. Tout obstacle entre nous avait disparu. Mon âme ne consentait pas à ces riants mensonges dont elle se défendait comme d’un péché. Je m’en confessais, j’en faisais pénitence. Je veillais dans la prière et je luttais contre le sommeil pour me soustraire à ces illusions coupables, mais elles revenaient toujours.

Ce combat minait mes forces, qui ne tardèrent pas à s’altérer. Sans être maladive, j’étais délicate. La rude vie claustrale, avec ses jeûnes, ses abstinences, ses macérations, la fatigue des offices nocturnes, le froid sépulcral de l’église, les rigueurs d’un long hiver dont me préservait mal un mince froc d’étamine, et, plus que tout cela, les combats de l’âme, les alternatives d’exaltation et d’abattement, de doute et de ferveur, la crainte de ne pouvoir livrer au divin Époux qu’un cœur