Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/172

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amour unique, si chaste, si pur, si involontaire, et que je m’étais efforcé d’oublier dès qu’il avait paru coupable à mes yeux, et voudrait bien me recevoir en sa grâce. Je fus bientôt si faible qu’il m’arrivait de m’évanouir dans mes prosternations et de rester étendue comme morte sous mon voile, la face contre le plancher ; on respectait mon immobilité, qu’on prenait pour de l’extase ; puis, voyant que je ne me relevais pas, deux religieuses se penchaient vers moi, me redressaient comme un corps inerte, et, les mains sous mes aisselles, me reconduisaient ou plutôt me rapportaient à ma cellule, que bientôt je ne dus plus quitter. Je restais de longues heures tout habillée sur mon lit, égrenant mon rosaire entre mes doigts amaigris, perdue dans quelque vague méditation et me demandant si mon vœu serait accompli après ma mort. Mes forces décroissaient visiblement, et ces remèdes qu’on apportait à mon mal pouvaient diminuer ma souffrance, mais non me guérir. Je ne le souhaitais pas d’ailleurs, car j’avais par delà cette vie un espoir longtemps caressé, et dont la réalisation possible m’inspirait une sorte de curiosité d’outre-tombe. Mon passage de ce monde dans l’autre se fit de la manière la plus douce. Tous les liens de l’esprit et de la matière étaient brisés, excepté un fil plus ténu mille fois que ces fils de la Vierge qui flottent dans les airs par les beaux jours d’automne, et qui