Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/186

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vous n’êtes pas encore tout à fait détaché des idées humaines, et cela se conçoit. Il n’y a pas longtemps que vous avez mis le pied hors du cercle qui ferme la vie ordinaire. »

Le baron de Féroë prit congé, Guy s’habilla, fit atteler et courut chez les fleuristes les plus en renom pour trouver une gerbe de lilas blanc. On était en plein hiver ; il eut peine à trouver ce qu’il voulait. Mais, à Paris, l’impossible, quand on peut le payer, n’existe pas. Il le trouva donc, et gravit la colline le cœur palpitant et les yeux humides.

Quelques flocons de neige pas encore fondus brillaient comme des larmes d’argent sur les feuilles sombre des ifs, des cyprès, des sapinettes et des lierres, et relevaient de touches blanches les moulures des tombeaux, le sommet et les bras des croix funèbres. Le ciel était bas, d’un gris jaunâtre, lourd comme du plomb, un vrai ciel fait pour se poser sur un cimetière, et la bise aigre gémissait en passant à travers ces ruelles de monuments faits à la taille des morts, et mesurés strictement sur le néant humain. Malivert eut bientôt gagné la chapelle, et non loin de là dans un cadre de lierre d’Irlande, il vit la blanche tombe qu’une légère couche de neige rendait plus blanche encore. Il se pencha sur la grille et lut cette inscription gravée au centre de la couronne de roses : « Lavinia d’Aufideni, en religion sœur Philomène, morte à dix-huit ans. » Il allongea