Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/202

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dait intérieurement, mais comme dans un entretien véritable, la voix de Lavinia avec son timbre jeune, frais, argentin, répondant à ses effusions brûlantes par de chastes et pudiques tendresses.

C’était un vrai supplice de Tantale ; la coupe pleine d’une eau glacée approchait de ses lèvres ardentes tendue par une main amoureuse, mais il ne pouvait pas même en effleurer les bords ; les grappes parfumées, couleur d’ambre et de rubis, se courbaient sur sa tête, et elles se relevaient fuyant une étreinte impossible.

Les courts intervalles pendant lesquels le quittait Spirite, rappelée sans doute par quelque ordre inéluctable prononcé « là où on peut ce qu’on veut, » lui étaient devenus insupportables, et quand elle disparaissait, il se serait volontiers brisé le crâne contre le mur qui se refermait sur elle.

Un soir il se dit : « Puisque Spirite ne peut revêtir un corps et se mêler à ma vie autrement que par la vision, si je dépouillais cette gênante enveloppe mortelle, cette forme épaisse et lourde qui m’empêche de m’élever avec l’âme adorée aux sphères où planent les âmes ? »

Cette résolution lui parut sage. Il se leva et alla choisir parmi un trophée d’armes sauvages pendues à la muraille, — casse-tête, tomahawks, zagaies, coutelas d’abatis, — une flèche empennée de plumes de perroquet et armée d’une pointe