Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/220

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des passagers, déjà aguerris contre le mal de mer, restaient sur le pont occupés à regarder la côte qu’on entrevoyait dans les vapeurs bleues du soir. Au-dessus de cette zone assombrie émergeait une montagne visible encore et retenant un rayon de jour sur son sommet lamé de neige. C’était le Taygète ; ce qui donnait l’occasion aux voyageurs bacheliers ès lettres et sachant quelques bribes de latin de citer avec une pédanterie satisfaite le vers si connu de Virgile. Un Français qui cite à propos, chose rare, un vers latin, est bien près du parfait bonheur. Quant à citer un vers grec, c’est une félicité réservée aux Allemands et aux Anglais sortant d’Iéna ou d’Oxford.

Sur les bancs à claire-voie et les pliants qui encombraient l’arrière du navire se tenaient de jeunes misses coiffées de petits chapeaux à voilettes bleues, leurs abondants cheveux roux enfermés dans un filet, leur gibecière de voyage pendue au col par une courroie, et vêtues de paletots à larges boutons. Elles contemplaient la côte embrumée par l’ombre du soir avec des jumelles assez fortes pour distinguer les satellites de Jupiter. Quelques-unes plus hardies et ayant le pied marin arpentaient le pont de ce pas gymnastique que les sergents de la garde, professeurs de marche, enseignent aux demoiselles d’outre-Manche. D’autres causaient avec des gentlemen d’une tenue irréprochable et d’une correction par-