Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/222

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même une conversation sur l’idéal et le réel, et les interlocuteurs, le gosier un peu desséché, descendirent dans la cabine pour s’humecter le larynx de quelque grog ou de quelque autre breuvage chaud et cordial. Malivert resta seul sur le pont. La nuit était tout à fait tombée. Dans le ciel d’un azur noir, les étoiles brillaient avec des scintillations d’une vivacité et d’un éclat dont on ne peut se faire une idée quand on n’a pas vu le ciel de la Grèce. Leurs reflets s’allongeaient dans l’eau, y traçaient des sillages, comme l’auraient fait des lumières posées sur la rive ; l’écume brassée par les aubes des roues rejaillissait en millions de diamants qui brillaient un instant et se fondaient en bleuâtres phosphorescences. Le noir pyroscaphe semblait nager dans un bain de lumière. C’était un de ces spectacles qui exciteraient l’admiration du Philistin le plus obtus, et Malivert, qui n’était pas un Philistin, en jouissait délicieusement. Il n’eut pas même l’idée de descendre dans la salle de l’entre-pont, où règne toujours une chaleur nauséabonde, particulièrement sensible quand on vient de l’air frais, et il continua à se promener de l’arrière à l’avant du navire, contournant les Levantins installés le long du bordage sur leurs tapis ou leurs minces matelas du côté de la proue, parmi les paquets de chaînes et les rouleaux de cordages, et quelquefois faisant baisser son voile à quelque femme qui, ne se