Page:Gautier - Spirite (Charpentier 1886).djvu/223

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croyant pas vue, le soulevait pour aspirer la fraîcheur nocturne. Guy, comme on le voit, tenait la promesse qu’il avait faite de ne pas compromettre Mme d’Ymbercourt.

Il s’accouda sur le bastingage, et se laissa aller à une rêverie pleine de douceur. Sans doute depuis que l’amour de Spirite l’avait dégagé des curiosités terrestres, le voyage de Grèce ne lui inspirait plus le même enthousiasme qu’autrefois. C’est un autre voyage qu’il eût voulu faire, mais il ne songeait plus à avancer son départ pour ce monde où sa pensée plongeait déjà. Il savait maintenant les conséquences du suicide, et il attendait sans trop s’impatienter que l’heure de s’envoler avec l’ange qui le visitait fût venue. Assuré de son bonheur futur, il se laissait aller à la sensation présente et jouissait en poète du magnifique spectacle de la nuit. Comme lord Byron, il aimait la mer. Cette éternelle inquiétude et cette plainte qui ne se tait jamais, même aux heures les plus calmes, ces brusques révoltes et ces fureurs insensées contre l’obstacle immuable avaient toujours plu à son imagination qui voyait dans cette turbulence vaine une secrète analogie avec l’inutile effort humain. Ce qui le charmait surtout de la mer, c’était le vaste isolement, le cercle d’horizon toujours semblable et toujours déplacé, la solennelle monotonie et l’absence de tout signe de civilisation. La même houle qui soulevait le