Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/169

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trail, présentant sa tête comme un masque humain avec son nez droit, son large front et ses rigides moustaches semblables à des fils argentés, et sa fauve crinière échevelée. Le regard jaune de ses yeux fixes était plein de mélancolie. Peut-être dans ses rêves faméliques songeait-il aux antilopes qui vont, vers le soir, se désaltérer à la source. Ainsi posé, il semblait attendre le pinceau de Delacroix ou l’ébauchoir de Barye. Mais un spectacle plus touchant encore était une pauvre lionne malade, d’une maigreur presque diaphane, qui paraissait poitrinaire et au dernier degré de consomption. Amincie, évidée comme une levrette, elle avait pris une élégance idéale et ressemblait à ces lions rampants des anciens blasons, moitié ornement, moitié chimère, aux indications accentuées et cursives que l’art héraldique découpait sur ses fonds de métal ou de couleur, « onglés et lampassés de gueules. » Son poil, d’un jaune pâle, prenait la lumière et la détachait de l’obscurité qui baignait l’arrière-plan de la loge ; elle était arrêtée sur ses quatre pattes, dont les muscles, jadis puissants, traçaient des sillons sous sa peau. La nostalgie du désert et des rochers brûlants de l’Atlas se lisait