Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/181

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bleu violent. Au-dessus de ces terrasses blanches se profilaient d’une façon inattendue et bizarre des cous de chameaux, dont on ne voyait pas les corps masqués par les maisons du premier plan ; ces cous s’avançant tout seuls avec le balancement familier à la bête bossue que les périphrases nomment « le navire du désert, » avaient l’aspect le plus chimérique et le plus en dehors du possible qu’on puisse rêver. Le court récit de Regnault nous donna la vision complète de cette rue de Tanger, et, pendant quelques minutes, au milieu de l’hiver parisien, nous nous sentîmes enveloppé de la chaude atmosphère orientale. Un coup de soleil soudain se projeta sur le mur, comme dans les tableaux de Decamps ou de Peter de Hooch.

Après divers détours, la conversation en vint sur Goya. Nous avions précisément à la maison un superbe exemplaire des Estragos y desastres de la guerra, que nous avait prêté Ph. Burty, qui possède toutes les belles choses « dans le meilleur état. » L’album fut placé sur la table, et Regnault, qui en avait vu quelques planches en Espagne, mais non l’œuvre complet, assez difficile à réunir, commença à le feuilleter, énonçant