Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/198

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C’est une figure étrange. Une espèce de turban négligemment enroulé lui recouvre le front de ses larges plis et projette sur ses yeux une ombre mystérieuse. On dirait un Manfred ou un don Juan oriental ayant peut-être connu une autre civilisation et ayant voulu changer de blasement. En regardant ce corps maigri et nerveux, consumé d’ardeur, nous pensions au héros de Namouna, à cet Hassan, d’Alfred de Musset, qui s’en était allé réchauffer son scepticisme au pays du Soleil, quittant le cigare pour le haschich. Le peintre n’a probablement pas eu cette idée, mais son aquarelle la suggère : l’ennui de la volupté, le désir de l’inconnu, la fatigue des paradis artificiels, comme les appelle Baudelaire, se lisent sur ce visage amaigri, mais jeune encore malgré les excès.

Sur les épais tapis qui jonchent le sol est étendue une jeune femme qui, les épaules adossées au divan, enveloppée d’une gandourah noire à capuchon, entr’ouverte à la poitrine, dont la blancheur ressemble à la lune sortant d’un nuage sombre, laisse errer nonchalamment ses doigts teints de henné sur les cordes d’une guzla dont elle s’accompagne. Le chant s’exhale comme un