Page:Gautier - Tableaux de Siége.djvu/327

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ses manuscrits en cendres lui a été épargnée.

La rue avait été barrée, mais on nous laissa franchir la clôture et nous nous engageâmes résolument dans cette voie désolée, au risque de recevoir sur la tête quelques pierres détachées d’une corniche. Un silence de mort régnait sur ces ruines ; il n’eût pas été plus profond dans les nécropoles de Thèbes ou les puits des Pyramides. Pas un roulement de voitures, pas un cri d’enfant, pas un chant d’oiseau, aucune rumeur lointaine. C’était un silence morne, farouche et surnaturel, qu’on n’osait pas troubler en élevant la voix, et nous allions muet, près de notre camarade, au milieu de la rue, comme dans ces passages de montagnes qu’on traverse sans faire de bruit, de peur de déterminer la chute d’une avalanche. Une tristesse incurable envahissait notre âme avec l’ombre du crépuscule, et la grande chauve-souris mélancolique d’Albert Dürer ouvrait son aile noire dans le ciel pâle, où montaient encore quelques légères vapeurs sortant des décombres, comme les fumeroles des solfatares.

Nous nous disions avec une stupeur découragée : « Eh quoi ! cette civilisation dont on est si