Page:Gautier - Théâtre, Charpentier, 1882.djvu/333

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quelques chaudrons luisent sur les planches ; des paysans et des paysannes attablés se livrent à leur grossière joie rustique ; le vin leur a monté à la tête et ils voudraient danser pour finir la soirée gaiement. Mais pour danser, il faut de la musique, il faut un ménétrier hissé sur un tonneau et battant du pied la mesure, raclant du violon ou pressant sous son bras le sac de cuir de la musette. Comme les femmes se dépitent, un son nasillard et discord se fait entendre dans le lointain ; le son s’approche, c’est une vielle qui grince, tournée par un vielleur ambulant. — Bon ! s’écrient les paysans, on ne saurait arriver plus à propos : et ouvrant la porte, ils appellent le musicien.

Ce musicien, vêtu à la mode du Tyrol, veste sur l’épaule, chapeau pointu et barbe épaisse, n’est autre que François, qui ainsi déguisé, tâche de gagner la frontière.

Les jeunes filles, frappant des mains et sautant de joie, entourent le vielleur ; elles voudraient tout de suite lui faire remplir son rôle d’orchestre tant les pieds leur frétillent. François demande un peu de répit, il est accablé de fatigue ; il vient de faire une longue route, il a faim et soif et sommeil.

— Voici du pain et du vin, mangez et buvez, et dormez même un peu sur ce banc ; après, vous ferez rage sur votre instrument et nous danserons à perdre haleine, répondent les paysans et les jeunes filles.

François les remercie et leur demande s’ils n’ont pas vu une belle jeune fille nommée Pâquerette.

— Nous ne l’avons pas vue, lui répondent les paysans.

— C’est pourtant bien ici qu’elle m’avait donné rendezvous, dit François ; elle devait y arriver avant moi.

Les paysans se retirent groupe par groupe pour laisser au musicien le loisir de se reposer, et, resté seul, François, malgré l’inquiétude que lui cause l’absence de Pâquerette, s’étend sur le banc de bois, et, vaincu par la fatigue, tombe de la rêverie dans le sommeil.