Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/273

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pique un peu de médecine, et je donne des avis qui ne sont pas à mépriser. »

D’un air languissant qui fait un contraste parfait avec les lis et les roses de son teint, Mme  de Champrosé tend à l’abbé, qui le prend délicatement entre le pouce et l’index, un joli bras fait au tour, qui sort d’un sabot de dentelle.

L’abbé parait écouter et compter les pulsations avec une attention profonde, et si sa bonne figure rebondie, où le rire a creusé deux fossettes, pouvait se prêter à une expression grave, il eût semblé sérieux en ce moment.

La marquise le regarde, émue, retenant sa respiration, de l’air de quelqu’un qui attend son arrêt.

« Êtes-vous convaincu maintenant ? dit-elle en voyant la mine pleine de componction de l’abbé.

— Hem ! hem ! fit l’abbé, voilà un pouls qui ne dit rien de bon : cette gentille veine bleue ne se comporte pas bien sous mon pouce ; elle est capriciante en diable.

— Serais-je grièvement malade ? soupira la marquise.

— Oh ! non pas, répliqua l’abbé d’un ton rassurant, il ne s’agit pas ici de ces grosses maladies, comme rhumes, fièvres ou fluxions de poitrine, qui regardent Tronchin ou Bordeu, mais je vous soupçonne véhémentement d’avoir le moral affecté.

— Le moral, c’est cela ! s’écria la marquise, enchantée d’être si bien comprise.

— Il y a là-dessous quelque peine de cœur, continue l’abbé, et Cupidon a fait des siennes. Ce petit dieu malin ne respecte pas toujours les marquises. »

À cette assertion, Mme  de Champrosé prit un air suprêmement dédaigneux et dit à l’abbé :

« Des peines de cœur, fi donc ! Me prenez-vous pour quelqu’un de bas lieu, ou bien ai-je l’air d’une grisette amoureuse ?