Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/274

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— Ce n’était qu’une supposition ; je la retire.

— J’ai peur que vous ne voyiez depuis quelque temps mauvaise compagnie, et que vous ne donniez dans la fréquentation des bourgeois, pour m’accuser de pareilles choses.

— Peut-être le veuvage vous pèse-t-il, et avez-vous de ces mélancolies qui viennent d’être seule le soir dans un vaste hôtel ?

— Décidément votre esprit est en baisse, dit la marquise en modulant un petit éclat de rire clair, argentin, vibrant, plein d’une naïve insolence de grande dame.

— Alors qu’avez-vous donc, car les diagnostics me trompent et ma science est en défaut ?

— Je m’ennuie ! » répond la marquise avec un air d’accablement et en se laissant aller sur son fauteuil.

À ce mot, la figure de l’abbé prit une expression d’étonnement extrême : ses fossettes se comblèrent, et ses yeux restèrent fixés sur Mme de Champrosé, pleins d’inquiétude et d’interrogation. Le dix-huitième siècle ne s’ennuyait pas avec ses magots, ses porcelaines, ses trumeaux tarabiscotés, ses petits soupers, ses faciles conquêtes, ses couplets égrillards, ses gouaches libertines, ses sofas, ses tabatières, ses nymphes, ses carlins et ses philosophes.

Il n’avait guère le temps de s’attrister, ce joyeux dix-huitième siècle ! Aussi le mot de la marquise consterna-t-il l’abbé et lui parut-il incompréhensible.

« Qu’une marquise riche de deux cent mille livres de rente, et charmante, veuve à dix-huit ans du mari que voilà, fit l’abbé en tendant la main vers un pastel oval où grimaçait, sous le harnois du dieu Mars, une figure jaune, sèche, ridée et plus que sexagénaire, dise qu’elle s’ennuie, cela manque de toute vraisemblance.

— Cela est pourtant…