Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/277

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tournée se présente ou qu’une imagination lumineuse se place commodément dans le cœur.

« Après cela, si elle triomphe, c’est d’une façon si insultante pour l’humanité, l’amour-propre le mieux élevé y trouve tant de décri, y perd tant de ses grâces, prend si mauvaise opinion de lui-même, qu’il faudrait qu’il fût bien ridicule pour ne pas lui rompre en visière.

— Grâce ! abbé, dit la marquise, en laissant voir toutes ses belles dents blanches dans un bâillement coquet. Ce que vous lisez là est sans doute le plus joli du monde, mais je n’y saurais rien comprendre et n’ai guère envie de m’y efforcer.

Le volume fut replacé sur la table. On annonça des visites : le petit chevalier de Verteuil, le gros commandeur de Livry ; le financier Bafogne, un Midas qui n’avait pas d’oreilles d’âne, bien qu’il les méritât, et qui changeait en or tout ce qu’il touchait…

On s’accorda à trouver l’œil de Mme de Champrosé légèrement battu et sa mine inquiétante, quoique toujours jolie ; seulement, le petit chevalier se récria et dit qu’il était déshonorant, pour la jeunesse française, qu’une charmante marquise se mourût d’ennui au milieu du joyeux règne de Louis XV le Bien-Aimé.

Il fut décidé qu’une promenade serait de bon effet, et que l’air du boudoir, chargé de parfum d’ambre, portait aux nerfs, causait des vapeurs et faisait donner dans milles bizarreries que le grand air dissiperait infailliblement. Le chevalier promit d’être de la dernière folie ; le commandeur jura de ne point parler de ses conquêtes ; Bafogne prétendit qu’il comprendrait les turlupinades du chevalier en se les faisant répéter seulement trois fois ; quant à l’abbé, une affaire l’appelait ailleurs ; il devait retrouver la compagnie chez le garde, au pont tournant, où l’on dînerait en revenant du Cours-la-Reine, avant d’aller à l’Opéra.