Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/282

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— Puisque madame le dit, je ne la démentirai pas.

— Sans doute quelque prince de la livrée, mon coureur Almanzor, ou Azolan, le chasseur du marquis ?

— Pardonnez-moi, madame ; des domestiques de grande maison deviennent presque aussi vicieux que des maîtres.

— Qui est-ce donc ?

— Un pauvre garçon très ordinaire, courtaud de boutique de son état, et qui n’a d’autre beauté qu’une santé vermeille, et d’autre mérite que de m’aimer comme une bête.

— Cet amour-là est le bon. Que tu dois être heureuse !

— Oui, surtout les jours où madame n’a pas besoin de moi et m’accorde la permission de sortir. Ce soir, par exemple, si vous m’en donniez le congé, j’irais à un petit bal, au Moulin-Rouge, pour les noces de ma cousine.

— Est-elle jolie, ta cousine ?

— Comme un cœur ! Des yeux bleus, des cils longs comme le doigt et un air de rosière.

— Quelles gens y aura-t-il à ce bal ?

— Oh ! des gens très huppés, des bourgeois ayant pignons sur rue, des fils et des filles de marchands, des clercs d’huissier et de procureur ; il y aura un violon, un fifre et un tambourin ; on soupera, et le matin on ira cueillir des lilas dans les prés Saint-Gervais.

— Tu me donnes envie d’aller à ce bal, cela me distrairait. Quelle drôle de mine doivent avoir tous ces gens-là !

— Si cela pouvait amuser madame, rien ne serait plus aisé ; je lui mettrais un de mes costumes et la ferais passer pour une de mes amies.

« Avec mon fourreau et mon casaquin de poult de soie rayé rose et blanc, un fichu de linon, un chignon