Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/286

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beautés à la mode (cette supposition n’avait rien d’invraisemblable), et, dans les masques des satyres et des égipans, ceux de traitants, de financiers, et même de certains vieux seigneurs fort connus par leur luxure.

La société n’était pas des plus nombreuses, mais elle était choisie ; quatre ou cinq hommes, et à peu près autant de femmes, la composaient.

Comme nous l’avons dit, les hommes appartenaient au plus grand monde, aux familles les mieux situées à la cour ; quant aux femmes, c’étaient des impures, des damnées, des comédiennes, pour qui la scène n’était qu’un prétexte, car on ne sait pas pourquoi la bonne compagnie, lorsqu’elle veut se divertir, est forcée d’avoir recours à la mauvaise, ce qui ferait croire que le vice a plus d’agréments que la vertu, conclusion que doit réprouver la morale.

La Guimard présidait le souper avec cette grâce spirituelle, cette volupté et ce feu qui faisaient d’elle la grande prêtresse du plaisir, religion qui comptait bien peu d’athées dans ce galant dix-huitième siècle.

Sa maigreur célèbre s’expliquait par l’entraînement de la danseuse, qui avait bien voulu sacrifier quelques-unes des rondeurs de la femme à la légèreté de son art : cette maigreur, qui n’avait rien de désagréable, ne se traduisait que par des élégances, des grâces et des finesses. Sa taille, dégagée d’appas superflus, s’enchâssait naturellement dans un corsage fluet comme le corps d’un papillon, dont sa jupe étincelante semblait former les ailes.

Sa main frêle et diaphane se jouait dans des bagues de diamants qu’une petite fille de dix ans n’eût pu mettre à son doigt.

Sa poitrine, intrépidement décolletée, étalait les plus délicieux néants, et l’on peut dire que jamais le rien ne fut plus joli.

Son col mince et blanc avait beaucoup de noblesse