Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/291

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qu’il faut pour ce malheur-là, puisque je n’aime personne.

— Savez-vous que ce n’est ni galant ni français, ce que vous venez de dire, monsieur ?

« Apprenez qu’à Paris, un homme du monde est toujours censé amoureux de la femme à laquelle il parle.

— Vous n’êtes pas une femme, puisque vous êtes mon confesseur.

— Nullement. Vous vous êtes relevé et nous causons. Fi ! monsieur le vicomte… Je suis femme et très femme.

— Eh bien, petite, si j’étais amoureux de toi, ce n’est pas cela qui me rendrait triste, car tu ne me recevrais pas en tigresse d’Hyrcanie, si j’en crois ce que tu me chuchotais tout à l’heure à l’oreille.

— Qu’ai-je donc dit tout à l’heure ?

— Que tu m’aimerais quand même je serais ruiné.

— Oui, mais comme vous n’êtes pas ruiné, je ne vous aime plus ; j’aurais fait cette générosité à votre indigence.

« Nous qui recevons toujours, il nous plaît quelquefois de donner ; c’est une douceur non pareille. »

Et, en disant cela, la voix enjouée et moqueuse de Rosette avait pris un ton d’attendrissement, et ses beaux yeux bleus s’étaient illuminés d’une douce lueur dont Candale fut frappé.

« Quel regret j’ai de ne pas être aussi pauvre qu’un poète ! J’ai bien envie, pour me mettre dans l’état qu’il faut pour être aimé de vous, de jouer toutes les nuits.

— Vous pourriez gagner.

— De marier des rosières, de doter des académies, de faire faire des cascades dans le jardin de mon château, ce qui ruine même les rois.

— Tout cela ne serait pas nécessaire, continua Rosette en faisant bouffer sa jupe étalée ; si vous m’aimiez un peu, je me résignerais à souffrir votre richesse ;