Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/296

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niaque, battait sa peau d’âne à la crever, et tous trois, de peur de perdre la mesure, la battaient fortement du pied, comme des ménétriers de village, et faisaient lever un nuage de poussière de la planche qui les supportait.

Un broc de vin où ils buvaient tour à tour de larges lampées, était placé à côté de ces Amphions ; et l’hôte du Moulin-Rouge le remplissait complaisamment, ayant appris par expérience que rien n’est salé comme la musique, à en juger par l’altération inextinguible des musiciens.

Cette harmonie qu’on entendait de l’escalier divertissait Mme  de Champrosé qui, jouant elle-même fort proprement du clavecin, était à même de distinguer les licences que cet orchestre sauvage se permettait avec les règles de la musique.

Dans le trajet, Mme  de Champrosé avait permis et recommandé à Justine de ne la point traiter avec un respect qui n’eût pas été naturel entre cousines.

Elle lui ordonna même de la tutoyer, et comme elle ne pouvait pas s’appeler de son nom véritable, elle avait choisi celui de Jeannette comme simple, pastoral et candide au possible.

Quand Justine parut accompagnée de Jeannette, tout le monde se précipita vers elle avec beaucoup d’empressement ; elle présenta sa fausse cousine le plus naturellement du monde, et les galanteries de l’assemblée éclatèrent en compliments qui, pour être mal tournés, n’en furent pas moins acceptés avec plaisir : les dieux, les rois et les jolies femmes avalent tout dans ce genre, et madame la marquise trouva que ces petits bourgeois étaient plus gens de goût qu’on ne le supposait : un peu de balourdise, en matière de madrigal, ne nuit pas toujours, cela prouve la sincérité. Trop de facilité inspire la défiance.

Aussi Mme  de Champrosé, qui était peu flattée d’en-