Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/309

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nullement emprunté, et si M. Bonnard n’avait pas dit que ce jeune homme arrivait de province depuis peu, l’on ne s’en serait vraiment pas douté.

« Vous n’avez jamais vu Paris, monsieur Jean ? dit Jeannette à son partenaire dans l’intervalle d’une contredanse.

— Non, mademoiselle, c’est la première fois que je viens dans cette grande ville.

— Et que vous en semble : répond-elle à ce que vous imaginiez ?

— Oui et non : j’y trouve des monuments superbes qui attestent la puissance de nos rois et la richesse des particuliers : mais tout cela mêlé à tant de misère, de boue et de fumée, que je ne sais si je dois admirer ou blâmer. Ce que j’ai vu de plus remarquable à Paris, jusqu’à présent, c’est vous, soit dit sans vous flatter.

— Oh ! si vous n’avez vu que moi de remarquable, c’est qu’il n’y a pas longtemps que vous êtes débarqué, et vous n’avez pas eu le temps de pousser vos observations bien loin.

— J’ai trouvé ! Je ne chercherai plus. Quoique de province, je sais apprécier la beauté, la décence et les grâces, ce qu’elles valent.

— Taisez-vous, vilain flatteur, vous allez me faire rougir.

— Quel plus joli fard pourrait colorer vos joues que le sang de votre cœur ému par l’accent honnête d’un garçon qui vous aime ?

— À qui je plais, je le veux bien… Quoique modeste, on sait qu’on n’est point faite à inspirer de l’horreur ; mais comment pouvez-vous dire que vous m’aimez !… Vous me connaissez à peine depuis une heure.

— Une heure ! il n’en faut pas tant. Je ne vous ai pas plutôt aperçue, que j’ai senti là que je vous appartenais.