Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelques petits cheveux follets échappés au peigne d’acier qui mordait son chignon ; elle se tenait serrée contre M. Jean, pour éviter les branches emperlées de rosée qui dégouttaient sur sa robe et semblaient vouloir lui barrer le passage pour la retenir plus longtemps.

C’était du moins la raison qu’elle se donnait à elle-même ; car il était sûr qu’elle pesait sur le bras de M. Jean plus que ne l’exigeaient un chemin parfaitement uni et sa légèreté naturelle.

Pour se donner une contenance, elle faisait prendre à sa figure un bain de fleurs en la plongeant dans la grosse touffe qu’on avait cueillie pour elle, noyant ainsi les roses dans les lilas.

On arriva chez le nourrisseur, qui se hâta de traire ses vaches, étonnées de voir leur étable envahie par cette joyeuse troupe, et qui retournaient la tête tandis que leur lait écumeux tombait dans des jattes d’une propreté fabuleuse.

Comme le nourrisseur n’avait pas une quantité de tasses suffisante, Jean et Jeannette, qui formaient un couple que déjà l’on ne séparait plus, tant la nature les avait bien assortis, n’eurent qu’une tasse pour eux deux ; Jeannette but la première, et Jean put retrouver sur le bord de la coupe l’empreinte des lèvres charmantes de la jeune ouvrière en dentelles.

Les vieux et M. de Bonnard se firent apporter du vin, préférant le jus de la vigne à ce régal arcadique et fait pour des morveux sevrés depuis peu de temps.

Puis enfin l’on se sépara.

Au moment de se quitter, M. Jean demanda s’il aurait le bonheur de revoir Mlle  Jeannette, et celle-ci, s’étant consultée quelques minutes avec Justine, lui répondit qu’elle irait le surlendemain reporter de l’ouvrage à une pratique, et que si M. Jean se voulait trouver rue Saint-Martin, à trois heures du soir, on pourrait faire un bout de chemin ensemble.