Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/327

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On arriva de la sorte rue Saint-Martin, lieu du rendez-vous.

Là, Justine dut quitter Mme  de Champrosé, car il n’est pas d’usage que les grisettes aient des dames de compagnie ou des suivantes lorsqu’elles trottent par la ville.

Cependant elle ne s’éloigna pas tout à fait et se tint à l’écart, en observation, pour accourir en cas où son assistance serait nécessaire.

Mme  de Champrosé, quand Justine l’eut quittée, bien qu’elle fût au milieu d’une rue populeuse, se trouva aussi seule qu’au milieu d’un désert d’Afrique ou d’Amérique, et, prenant son courage à deux mains, se mit à raser les maisons comme une hirondelle furtive.

Sa solitude ne fut pas de longue durée. M. Jean, bien que l’heure indiquée par le rendez-vous n’eût pas encore sonné à l’horloge de la paroisse, faisait depuis longtemps pied de grue, car si l’exactitude est la politesse des rois, la politesse des amoureux consiste à devancer le temps ; si l’on n’arrive pas trop tôt, l’on arrive trop tard.

M. Jean, qui avait aperçu de loin Mlle  Jeannette, tout en semblant examiner avec beaucoup d’attention, pour se donner une contenance, un barbouilleur qui ornait d’une couche de peinture l’enseigne du Chat qui pêche, s’avança d’un pas vif, mais mesuré, vers la belle ouvrière en dentelles qu’il salua très respectueusement lorsqu’il se trouva nez à nez avec elle.

Jeannette joua l’étonnement lorsque M. Jean lui parla, comme si cette rencontre eut été l’effet du hasard, et la plus aimable rougeur vint colorer ses joues ; car, bien qu’elle fût du monde, Mme  de Champrosé avait cette particularité de rougir à la moindre émotion.

Lorsque Justine vit M. Jean cheminer auprès de Mlle  Jeannette, et le couple remonter vers le boulevard