Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/329

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avait pris d’aller au Moulin-Rouge terminer sa nuit par des plaisirs de moins bon ton, mais plus vifs.

« J’avais peur que vous ne vinssiez pas, dit Jean, entrant en matière sans trop d’embarras. »

Un regard de Jeannette contenant un doux reproche et qu’il était impossible de traduire autrement que : « Vous saviez bien que je viendrais, » fut sa seule réponse.

« Le cœur me bat bien fort, car il y a plus d’une heure que je fais semblant de regarder les enseignes des boutiques.

— Je n’étais cependant pas en retard, répliqua Jeannette en levant son doigt effilé vers le cadran de l’église devant laquelle le couple passait en ce moment.

— L’amour avance toujours, et pour lui les horloges les mieux réglées retardent quand elles ont à sonner les rendez-vous.

— Monsieur Jean, vous êtes d’une galanterie…

— Galant, non ; amoureux, oui. Les beaux messieurs du grand monde sont galants, ils savent dire mille impertinences aimables ! mais nous autres petites gens nous sommes passionnés et sincères ; ce n’est pas notre esprit, c’est notre cœur qui parle. »

À ces paroles débitées avec feu, Mme  de Champrosé pensa que Justine avait eu raison de prétendre qu’en amour il fallait déroger pour trouver un cœur neuf au sentiment et capable d’aimer de la bonne façon.

— Eh bien ! oui, j’admets que vous êtes amoureux, mais il ne faut pas gesticuler de manière à nous faire regarder des passants.

— Pardon, mademoiselle, permettez-moi de vous offrir le bras : à marcher près de vous, j’ai l’air d’un inconnu qui cherche à vous aborder, et qui peut-être vous importune.

« Si vous l’acceptez, vous êtes sous ma sauvegarde,