Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/343

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de suite a des facilités de grande dame, M. Jean pourrait bien la soupçonner marquise.

— Mais sais-tu que c’est insolent ce que tu dis là ?

— Oh ! madame ne peut pas se faire une idée de l’importance qu’on attache à ces choses parmi le menu peuple : aucune défaite n’est vraisemblable avant six semaines ou trois mois de cour ; et puis, en forçant M. Jean à filer le parfait amour comme le font les bourgeoises, madame, j’en réponds, éprouvera des choses qu’elle ne saurait concevoir aujourd’hui.

— Mon Dieu, Justine, que tu es métaphysique ce soir.

— Avez-vous eu faim quelquefois ?

— Quelle singulière question me fais-tu là ! — Jamais !… Est-ce qu’on a faim ?

— Les paysans et les ouvriers prétendent que si.

— Rien ne me ragoûte à table ; je tâte un blanc-manger, je suce une aile de perdrix, je touche à quelques drogues, je bois un doigt de crème des Barbades, et c’est tout.

— Eh bien ! si madame restait un jour ou deux sans manger, elle mordrait à belles dents dans un chignon de pain bis et le trouverait délicieux, encore qu’il fût plein de bûches et de son.

— Bon ! Et tu me conseilles la diète pour me donner de l’appétit ?

— Précisément.

— Il y a peut-être du vrai dans ce que tu dis là.

— Quinze jours de résistance, et je prédis à madame qu’elle sera amoureuse comme une couturière.

— Et M. Jean, que dira-t-il de ce régime ?

— Il s’affolera de Mlle  Jeannette au point de faire toutes les sottises.

— Tu me dis là des choses de l’autre monde, mais qui ont un certain sens ; tu fais bien de me raffermir