Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/351

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Fragonard, erraient sur le fond d’un bleu tendre aussi pur que celui de la porcelaine de Sèvres la mieux réussie ; un feuillage d’un vert tendre et gai, car le printemps ne faisait que de naître, et Flore n’avait pas encore vu ses fleurs, changées en fruits, aller remplir les corbeilles de Pomone, rendait l’horizon agréable et riant comme un décor champêtre peint à l’Opéra par Boucher : le paysage, quoique moins azuré et vert-pomme dans le lointain, n’en avait pas moins son charme, car la nature, bien que manquant de grâce et un peu grossière, s’entend assez bien à tenir la palette et à manier les pinceaux, et, si elle avait un peu d’académie, on n’aurait rien à lui reprocher.

Il est vrai que les personnages qui peuplaient ces campagnes n’étaient pas habillés en taffetas gorge de pigeon et de satin vert céladon, comme ceux des dessus de porte et des pastorales : les moutons qui paissaient ne méritaient guère l’épithète de blancs que leur prodigue Mme  Deshoulières ; ils paraissaient n’avoir pas été savonnés depuis longtemps, si même ils l’avaient jamais été ; les tendres agneaux ne portaient au col aucune faveur rose ou bleue, et si la belle Philis eût voulut en serrer un contre son cœur, elle eût infailliblement taché son corsage à échelle, car rien n’était plus crotté que ces agnelets.

Ces moutons étonnèrent un peu la marquise, qui s’était fait, d’après les petits vers de M. l’abbé et les gouaches de son éventail, une tout autre idée de la race ovine.

« Qu’est-ce donc que ce tas de haillons qui chemine sur deux grands vilains pieds plats et rouges ?

— Cela, madame, c’est un berger.

— Ciel ! que me dis-tu là, Justine. Tu te moques ! Un berger, ce pataud !… C’est impossible !

— Il ne ressemble guère à ceux de l’Opéra.

— Et il a bien tort, Justine. La réalité devrait copier le faux.