Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/356

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ce charme, et, si elle entendit les conseils des oiseaux qui se becquetaient dans leurs nids, des fleurs qui se penchaient l’une vers l’autre en entr’ouvrant leurs calices, elle ne les écouta point.

Fut-ce par rigorisme ou par souvenir des recommandations de Justine, ou M. Jean, rendu timide par l’émotion, ne sut-il pas profiter de l’ombre protectrice des bosquets et des facilités de la fougère ? Non.

L’état où se trouvaient les deux jeunes gens était si délicieux, qu’ils craignaient d’en sortir par quelque entreprise qui eût pu augmenter leur bonheur, mais peut-être aussi le troubler.

C’est ainsi qu’une marquise et un vicomte, déguisés l’une en grisette, l’autre en commis, mangèrent des fraises dans les bois, sans que la vertu eût à gémir que de quelques serrements de mains et de quelques baisers sur le front ou les cheveux, dont la bergère la plus prude se serait à peine formalisée. — S’il semble étrange à quelque lecteur que M. Jean, qui avait paru plus vif et plus délibéré à son début, se soit alangui de la sorte, nous répondrons qu’alors il était pris de goût seulement, et que maintenant il est pris d’amour.

La sensible lectrice comprendra, nous y comptons, cette nuance délicate.

Les amoureux prétendent vivre d’air, à la façon des sylphes dont M. Crébillon le fils et M. le comte de Gabalis racontent des choses on ne peut plus étonnantes ; mais cette assertion nous paraît fort hasardée, et il est certain que Jean et Jeannette, malgré tout le plaisir qu’ils avaient à cueillir des violettes, des fraises et des baisers dans les bois, arrivèrent avec un certain contentement au cabaret du Lapin blanc.

Le cabaret du Lapin blanc faisait assez bonne figure sur le bord de la route.

Son enseigne, connue depuis un temps immémorial, avait été barbouillée par un descendant fort éloigné