Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/358

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et une feuille de rose tombait dans un verre, comme pour mêler Vénus à Bacchus.

Les deux amants s’établirent sous une de ces tonnelles, vis-à-vis d’une table garnie d’une grosse nappe bise fort propre, traversée d’une large raie rose, de couverts d’étain, de verres à côtes, et d’un broc d’un petit cru d’Argenteuil assez vert, mais naturel, et n’ayant point reçu le baptême, chose rare chez les cabaretiers, grands convertisseurs de vins, et qui n’en souffrent point dans leurs caves qui ne soient bons chrétiens.

Le repas fut le plus gai du monde ; les mets, quoique simples, étaient assez bien préparés, et l’appétit leur servait de sauce.

À coup sûr, si quelqu’un eût passé sur la route et regardé à travers les découpures du feuillage ce commis et cette grisette mangeant et riant à belles dents, il n’eût pas soupçonné que ce commis était un vicomte, la grisette une marquise, M. Jean M. de Candale, et Mlle Jeannette Mme de Champrosé.

On revint à la ville par le plus joli clair de lune, et Jeannette, qui prenait tout à fait l’esprit de son rôle, salua gracieusement M. Jean au seuil de sa maison, dont elle lui referma fort proprement la porte sur le nez.

C’est ainsi que cette journée, commencée sous les auspices de Vénus, déesse de l’Amour, finit sous ceux de Minerve, déesse de la Sagesse.



XVII


La pauvre Rosette attendit vainement le marquis de Candale, à qui le personnage de M. Jean rendait difficile d’en soutenir un autre ailleurs.