Page:Gautier - Un trio de romans, Charpentier, 1888.djvu/400

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se faire voir en plusieurs endroits, pour bien constater sa présence à Paris.

Elle reparut en grande loge à l’Opéra et à Versailles, où elle fit sur le grand escalier de l’Orangerie une rencontre qui la faillit déconcerter.

Comme elle descendait l’escalier, Candale le remontait.

En voyant venir cette femme avec un panier de six aunes, des plumes, des diamants, et tout l’attirail d’une grande toilette de cour, poudrée à blanc et fardée en roue de carrosse comme une princesse, entourée d’un groupe de courtisans qui papillonnaient, Candale fut étrangement troublé.

Il avait démêlé dans les traits de la marquise une ressemblance la plus singulière du monde avec les traits de Jeannette.

Malgré la différence d’air et de costume, le rapport était si frappant qu’il ne put s’empêcher de s’arrêter sur la marche où il se trouvait et de regarder fixement Mme  de Champrosé en s’écriant :

« Grands dieux ! Jeannette… »

La marquise, qui continuait de descendre, jeta sur lui un coup d’œil étonné et naïf, comme quelqu’un qui est surpris par une action qu’il ne comprend pas, et voyant Candale immobile, les pieds soudés au marbre par la stupeur, elle continua légèrement son chemin, suivie du commandeur de Livry et de Bafogne, qu’elle se plaisait à faire marcher fort vite, parce qu’il était fort gros : petite méchanceté qui la réjouissait infiniment.

« Que la nature est bizarre dans ses jeux, pensa Candale en remontant l’escalier, lorsque la vision fut évanouie : elle s’amuse à jeter deux visages dans le même moule, et à tirer une double épreuve d’une marquise ou d’une grisette ! Comme elles se ressemblent ! mais comme Jeannette est plus jolie ! »