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VOYAGE EN ESPAGNE.

faux air italien, augmenté encore par les massifs d’arbres qui couronnent ses escarpements et un grand pin évasé en parasol comme ceux des villas romaines. Une vieille tour, qui, si ma mémoire est fidèle, est surmontée d’un télégraphe (le télégraphe sauve beaucoup de vieilles tours), donne de la sévérité à l’aspect général et fait tenir à la ville une assez bonne place sur le bord de l’horizon. En gravissant la montée, je remarquai une maison barbouillée extérieurement de fresques grossières représentant quelque chose comme Neptune, Bacchus ou peut-être Napoléon. Le peintre ayant négligé de mettre le nom à côté, toutes suppositions sont permises et peuvent se défendre.

Jusque-là, j’avoue qu’une excursion à Romainville ou à Pantin eût été tout aussi pittoresque ; rien de plus plat, de plus nul, de plus insipide que ces interminables lanières de terrain, pareilles à ces bandelettes au moyen desquelles les lithographes renferment les boulevards de Paris dans une même feuille de papier. Des haies d’aubépine et des ormes rachitiques, des ormes rachitiques et des haies d’aubépine, et plus loin, quelque file de peupliers, plumets verts piqués dans une terre plate, ou quelque saule au tronc difforme, à la perruque enfarinée, voilà pour le paysage ; pour la figure, quelque pionnier ou cantonnier, hâlé comme un More d’Afrique, qui vous regarde passer la main appuyée sur le manche de son marteau, ou bien quelque pauvre soldat qui regagne son corps, suant et chancelant sous le harnais. Mais au-delà d’Angoulême, la physionomie du terrain change, et l’on commence à comprendre qu’on est à une certaine distance de la banlieue.

En sortant du département de la Charente, on rencontre la première lande : ce sont d’immenses nappes de terre grise, violette, bleuâtre, avec des ondulations plus ou moins prononcées. Une mousse courte et rare, des bruyères d’un ton roux et des genêts rabougris forment toute la végétation. C’est la tristesse de la Thébaïde égyptienne, et à chaque minute, l’on s’attend à voir défiler des dromadaires