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VOYAGE EN ESPAGNE.

Tout à fait sur la fin de sa vie, qui fut longue, car il est mort à Bordeaux à plus de quatre-vingts ans, Goya a fait quelques croquis lithographiques improvisés sur la pierre, et qui portent le titre de Dibersion de España ; ― ce sont des combats de taureaux. On reconnaît encore, dans ces feuilles charbonnées par la main d’un vieillard sourd depuis longtemps et presque aveugle, la vigueur et le mouvement des Caprichos et de la Tauromaquia. L’aspect de ces lithographies rappelle beaucoup, chose curieuse ! la manière d’Eugène Delacroix dans les illustrations de Faust.

Dans la tombe de Goya est enterré l’ancien art espagnol, le monde à jamais disparu des toreros, des majos, des manolas, des moines, des contrebandiers, des voleurs, des alguazils et des sorcières, toute la couleur locale de la Péninsule. ― Il est venu juste à temps pour recueillir et fixer tout cela. Il a cru ne faire que des caprices, il a fait le portrait et l’histoire de la vieille Espagne, tout en croyant servir les idées et les croyances nouvelles. Ses caricatures seront bientôt des monuments historiques.




IX

L’Escurial. ― Les voleurs.


Pour aller à l’Escurial, nous louâmes une de ces fantastiques voitures chamarrées d’amours à la grisaille et autres ornements pompadour dont nous avons déjà eu l’occasion de parler ; le tout attelé de quatre mules et enjolivé d’un zagal assez bien travesti. L’Escurial est situé à sept ou huit lieues de Madrid, non loin de Guadarrama, au pied d’une chaîne de montagnes ; on ne peut rien imaginer de plus aride et de plus désolé que la campagne qu’il faut traverser