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VOYAGE EN ESPAGNE.

parcouraient à la fois la triple carrière de l’art. Nous citerons aussi un immense plafond de Luc Jordan, où fourmille tout un monde d’anges et d’allégories dans les attitudes les plus strapassées du raccourci, et qui présente un singulier effet d’optique. Du milieu de la voûte jaillit un rayon de lumière qui, bien que peint sur une surface plane, semble tomber perpendiculairement sur votre tête, de quelque côté qu’on le regarde.

C’est là que l’on garde le trésor, c’est-à-dire les belles chapes de brocart, de toile d’or frisée, de damas d’argent ; les merveilleuses guipures, les châsses de vermeil, les ostensoirs de diamants, les gigantesques chandeliers d’argent, les bannières brodées, tout le matériel et les accessoires de la représentation de ce sublime drame catholique qu’on appelle la messe.

Dans les armoires d’une de ces salles est contenue la garde-robe de la sainte Vierge, car de froides statues de marbre ou d’albâtre ne suffisent pas à la piété passionnée des Méridionaux ; dans leur emportement dévot, ils entassent sur l’objet de leur culte des ornements d’une richesse extravagante ; rien n’est assez beau, assez brillant, assez ruineux ; sous ce ruissellement de pierreries, la forme et le fond disparaissent : ils s’en inquiètent peu. La grande affaire, c’est qu’il soit matériellement impossible de suspendre une perle de plus aux oreilles de marbre de l’idole, d’enchâsser un plus gros diamant dans l’or de sa couronne, et de tracer un autre ramage de pierreries sur le brocart de sa robe.

Jamais reine antique, pas même Cléopâtre, qui buvait des perles, jamais impératrice du Bas-Empire, jamais duchesse du moyen âge, jamais courtisane vénitienne du temps de Titien n’eut un écrin plus étincelant, un trousseau plus riche que la Notre-Dame de Tolède. L’on nous fit voir quelques-unes de ses robes : l’une d’elles est entièrement recouverte, de manière à ne pas laisser soupçonner le fond, de ramages et d’arabesques de perles fines parmi