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VOYAGE EN ESPAGNE.

monuments bâtis avec de si frêles matériaux soient parvenus jusqu’à nos jours.

La légende de la Galiana est mieux conservée que son palais. Elle était fille du roi Galafre, qui l’aimait par-dessus tout, et lui avait fait bâtir dans la Vega une maison de plaisance avec des jardins délicieux, des kiosques, des bains, des fontaines et des eaux qui s’élevaient et s’abaissaient selon le décours de la lune, soit par magie, soit par un de ces artifices hydrauliques si familiers aux Arabes. La Galiana, idolâtrée par son père, vivait le plus agréablement du monde dans cette charmante retraite, s’occupant de musique, de poésie et de danse. Son travail le plus pénible était de se dérober aux galanteries et aux adorations de ses poursuivants. Le plus importun et le plus acharné de tous était un certain roitelet de Guadalajara, nommé Bradamant, More gigantesque, vaillant et féroce ; Galiana ne le pouvait souffrir ; et, comme dit le chroniqueur : « Qu’importe que le cavalier soit de feu, quand la dame est de glace ? » Cependant, le More ne se rebutait pas, et sa passion de voir Galiana et de lui parler était si vive, qu’il avait fait creuser de Guadalajara à Tolède un chemin couvert par où il venait la visiter tous les jours.

Dans ce temps-là, Karl le Grand, fils de Pépin, vint à Tolède, envoyé par son père, pour porter secours à Galafre contre le roi de Cordoue, Abderrhaman. Galafre le logea dans le palais même de la Galiana ; car les Mores laissent volontiers voir leurs filles aux personnes illustres et considérables. Karl le Grand avait le cœur tendre sous sa cuirasse de fer, et ne tarda pas à devenir fort éperdument amoureux de la princesse moresque. Il supporta d’abord les assiduités de Bradamant, n’étant pas encore sûr d’avoir touché le cœur de la belle ; mais comme Galiana, malgré sa réserve et sa modestie, ne put lui cacher longtemps la secrète préférence de son âme, il commença à se montrer jaloux et demanda la suppression de son rival basané. Galiana, qui était déjà française jusqu’aux yeux,