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VOYAGE EN ESPAGNE.

ou plutôt de la montagne couronnée par l’Alhambra ; l’Alhambra et son appendice le Généralife ; l’Albaycin, autrefois vaste forteresse, aujourd’hui quartier en ruines et dépeuplé, et Grenade proprement dite, qui s’étend dans la plaine autour de la cathédrale et de la place de la Vivarambla, et qui forme un quartier séparé.

Tel est, à peu près, l’aspect topographique de Grenade, traversée dans toute sa largeur par le Darro, côtoyée par le Genil qui baigne l’Alameda (promenade), abritée par la Sierra-Nevada, qu’on entrevoit à chaque bout de rue, rapprochée si fort par la transparence de l’air, qu’il semble qu’on pourrait la toucher avec la main du haut des balcons et des miradores.

L’aspect général de Grenade trompe beaucoup les prévisions que l’on avait pu se former. Malgré soi, malgré les nombreuses déceptions déjà éprouvées, l’on ne s’avoue pas que trois ou quatre cents ans et des flots de bourgeois ont passé sur le théâtre de tant d’actions romantiques et chevaleresques. On se figure une ville moitié moresque, moitié gothique, où les clochers à jours se mêlent aux minarets, où les pignons alternent avec les toits en terrasse, on s’attend à voir des maisons sculptées, historiées, avec des blasons et des devises héroïques, des constructions bizarres, aux étages chevauchant l’un sur l’autre, aux poutres saillantes, aux fenêtres ornées de tapis de Perse et de pots bleus et blancs, enfin la réalité d’une décoration d’opéra, représentant quelque merveilleuse perspective du moyen âge.

Les gens que l’on rencontre en costume moderne, coiffés de chapeaux tromblons, vêtus de redingotes à la propriétaire, vous produisent involontairement un effet désagréable et vous semblent plus ridicules qu’ils ne le sont ; car ils ne peuvent réellement pas se promener, pour la plus grande gloire de la couleur locale, avec l’albornoz more du temps de Boabdil ou l’armure de fer du temps de Ferdinand et d’Isabelle la Catholique. Ils tiennent à honneur, comme