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VOYAGE EN ESPAGNE.

ment rococo, barbouillé en jaune et garni de statues de grenadiers peints en gris de souris.

L’Alameda de Grenade est assurément l’un des endroits les plus agréables du monde : elle se nomme le Salon ; singulier nom pour une promenade : figurez-vous une longue allée de plusieurs rangs d’arbres d’une verdure unique en Espagne, terminée à chaque bout par une fontaine monumentale, dont les vasques portent sur les épaules des dieux aquatiques d’une difformité curieuse et d’une barbarie réjouissante. Ces fontaines, contre l’ordinaire de ces sortes de constructions, versent l’eau à larges nappes qui s’évaporent en pluie fine et en brouillard humide, et répandent une fraîcheur délicieuse. Dans les allées latérales courent, encaissées par des lits de cailloux de couleur, des ruisseaux d’une transparence cristalline. Un grand parterre, orné de jets d’eau, rempli d’arbustes et de fleurs, myrtes, rosiers, jasmins, toute la corbeille de la Flore grenadine, occupe l’espace entre le Salon et le Genil, et s’étend jusqu’au pont élevé par le général Sébastiani du temps de l’invasion des Français. Le Genil arrive de la Sierra-Nevada dans son lit de marbre à travers des bois de lauriers d’une beauté incomparable. Le verre, le cristal, sont des comparaisons trop opaques, trop épaisses, pour donner une idée de la pureté de cette eau qui était encore la veille étendue en nappes d’argent sur les épaules blanches de la Sierra-Nevada. C’est un torrent de diamants en fusion.

Le soir, au Salon, entre sept et huit heures, se réunissent les petites-maîtresses et les élégants grenadins : les voitures suivent la chaussée, vides la plupart du temps, car les Espagnols aiment beaucoup la marche, et, malgré leur fierté, daignent se promener eux-mêmes. Rien n’est plus charmant que de voir aller et venir par petits groupes les jeunes femmes et les jeunes filles en mantille, nu-bras, des fleurs naturelles dans les cheveux, des souliers de satin aux pieds, l’éventail à la main, suivies à quelque dis-