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VOYAGE EN ESPAGNE.

nade ; les autres pour se rendre à la tertulia, chez leurs amis et leurs connaissances.

Cette heure est la plus gaie et la plus vivante de Grenade. Les boutiques des aguadores et des glaciers en plein vent sont éclairées par une multitude de lampes et de lanternes ; les réverbères et les fanaux allumés devant les images des madones luttent d’éclat et de nombre avec les étoiles, ce qui n’est pas peu dire ; et, s’il fait clair de lune, l’on peut lire parfaitement les éditions les plus microscopiques. Le jour est bleu au lieu d’être jaune, voilà tout.

Grâce à la dame qui m’avait empêché de mourir de faim dans la diligence, et qui nous présenta chez plusieurs de ses amis, nous fûmes bientôt très répandus dans Grenade, et nous y menâmes une vie charmante. Il est impossible de recevoir un accueil plus cordial, plus franc et plus aimable ; au bout de cinq ou six jours, nous étions tout à fait intimes, et, suivant l’usage espagnol, l’on nous désignait par nos noms de baptême : j’étais à Grenade don Teofilo, mon camarade s’intitulait don Eugenio, et nous avions la liberté d’appeler par leur petit nom, Carmen, Teresa, Gala, etc., les femmes et les filles des maisons où nous étions reçus. Cette familiarité s’accorde très bien avec les manières les plus polies et les attentions les plus respectueuses.

Nous allions donc à la tertulia tous les soirs, soit dans une maison, soit dans l’autre, depuis huit heures jusqu’à minuit. La tertulia se tient dans le patio entouré de colonnes d’albâtre, orné d’un jet d’eau dont le bassin est entouré de pots de fleurs et de caisses d’arbustes, sur les feuilles desquels les gouttes retombent en grésillant. Six ou huit quinquets sont accrochés le long des murs ; des canapés et des chaises de paille ou de jonc meublent les galeries, des guitares traînent çà et là ; le piano occupe un angle, dans l’autre sont dressées des tables de jeu.

Chacun va saluer, en entrant, la maîtresse et le maître de la maison, qui ne manquent pas, après les civilités or-