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VOYAGE EN ESPAGNE.

exquis. Les tours Quebrada, de l’Homenage, de l’Armeria, celle de la Vela, dont la cloche annonce les heures de la distribution des eaux, des parapets de pierre où l’on peut s’accouder pour admirer le merveilleux spectacle qui se déroule devant vous, entourent la place d’un côté ; l’autre est rempli par le palais de Charles-Quint, grand monument de la renaissance qu’on admirerait partout ailleurs, mais que l’on maudit ici, lorsqu’on songe qu’il couvre une égale étendue de l’Alhambra renversée exprès pour emboîter sa lourde masse. Cet Alcazar a pourtant été dessiné par Alonzo Berruguète ; les trophées, les bas-reliefs, les médaillons de sa façade sont fouillés par un ciseau fier, hardi, patient ; la cour circulaire à colonnes de marbre, où devaient se donner des combats de taureaux, est assurément un magnifique morceau d’architecture, mais non erat hic locus.

L’on pénètre dans l’Alhambra par un corridor situé dans l’angle du palais de Charles-Quint, et l’on arrive, après quelques détours, à une grande cour désignée indifféremment sous le nom de Patio de los Arrayanes (cour des Myrtes), de l’Alberca (du Réservoir), ou du Mezouar, mot arabe qui signifie bain des femmes.

En débouchant de ces couloirs obscurs dans cette large enceinte inondée de lumière, l’on éprouve un effet analogue à celui du Diorama. Il vous semble que le coup de baguette d’un enchanteur vous a transporté en plein Orient, à quatre ou cinq siècles en arrière. Le temps, qui change tout dans sa marche, n’a modifié en rien l’aspect de ces lieux, où l’apparition de la sultane Chaîne des cœurs et du More Tarfé, dans son manteau blanc, ne causerait pas la moindre surprise.

Au milieu de la cour est creusé un grand réservoir de trois ou quatre pieds de profondeur, en forme de parallélogramme, bordé de deux plates-bandes de myrtes et d’arbustes, terminé à chaque bout par une espèce de galerie à colonnes fluettes supportant des arcs moresques d’une