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VOYAGE EN ESPAGNE.

reur de l’Inquisition disparue. Quelques rues désertes et à moitié en ruine de l’Albaycin sont aussi habitées par des gitanos plus riches ou moins nomades. Dans une de ces ruelles, nous aperçûmes une petite fille de huit ans, entièrement nue, qui s’exerçait à danser le zorongo sur un pavé pointu. Sa sœur, hâve, décharnée, avec des yeux de braise dans une figure de citron, était accroupie à terre à côté d’elle, une guitare sur les genoux, dont elle faisait ronfler les cordes avec le pouce, musique assez semblable au grincement enroué des cigales. La mère, richement habillée et le cou chargé de verroteries, battait la mesure du bout d’une pantoufle de velours bleu que son œil caressait complaisamment. La sauvagerie d’attitude, l’accoutrement étrange et la couleur extraordinaire de ce groupe, en eussent fait un excellent motif de tableau pour Callot ou Salvator Rosa.

Le Monte-Sagrado, qui renferme les grottes des martyrs retrouvés miraculeusement, n’offre rien de bien curieux. C’est un couvent avec une église assez ordinaire, sous laquelle sont creusées les cryptes. Ces cryptes n’ont rien qui puisse produire une vive impression. Elles se composent d’une complication de petits corridors étroits, hauts de sept ou huit pieds et blanchis à la chaux. Dans des enfoncements ménagés à cet effet, l’on a élevé des autels parés avec plus de dévotion que de goût. C’est là que sont enfermés, derrière des grillages, les châsses et les ossements des saints personnages. Je m’attendais à une église souterraine, obscure, mystérieuse, presque effrayante, à piliers trapus, à voûte surbaissée, éclairée par le reflet incertain d’une lampe lointaine, à quelque chose comme les anciennes catacombes, et je ne fus pas peu surpris de l’aspect propre et coquet de cette crypte badigeonnée, éclairée par des soupiraux comme une cave. Nous autres catholiques un peu superficiels, nous avons besoin du pittoresque pour arriver au sentiment religieux. Le dévot ne pense guère aux jeux de l’ombre et de la lumière, aux