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VOYAGE EN ESPAGNE.

ver un moment de vive anxiété en nous disant que toutes les places pour la course étaient prises, et que nous aurions beaucoup de peine à nous en procurer. Heureusement, notre cosario Lanza nous trouva deux asientos de preferencia (places marquées), du côté du soleil, il est vrai ; mais cela nous était bien égal : nous avions depuis longtemps fait le sacrifice de notre fraîcheur, et une couche de hâle de plus sur notre figure bistrée et jaunie ne nous importait guère. Les courses devaient durer trois jours consécutifs. Les billets du premier jour étaient cramoisis, ceux du second verts, ceux du troisième bleus, pour éviter toute confusion et empêcher les amateurs de se présenter deux fois avec la même carte.

Pendant notre déjeuner survint une troupe d’étudiants en tournée ; ils étaient quatre et ressemblaient plus à des modèles de Ribera ou de Murillo qu’à des élèves en théologie, tant ils étaient déguenillés, déchaux et malpropres. Ils chantaient des couplets bouffons en s’accompagnant du tambour de basque, du triangle et des castagnettes ; celui qui touchait le pandero était un virtuose dans son genre ; il faisait résonner la peau d’âne avec ses genoux, ses coudes, ses pieds, et, quand tous ces moyens de percussion ne lui suffisaient pas, il allongeait le disque orné de plaques de cuivre sur la tête de quelque muchacho ou de quelque vieille femme. L’un d’eux, l’orateur de la troupe, faisait la quête en débitant avec une extrême volubilité toute sorte de plaisanteries pour exciter les largesses de l’assemblée. « Un realito ! » criait-il en prenant les postures les plus suppliantes, « pour que je puisse finir mes études, devenir curé, et vivre sans rien faire ! » Quand il avait obtenu la petite pièce d’argent, il la plaquait contre son front à côté des autres déjà extorquées, absolument comme les almées qui, après la danse, couvrent leur visage en sueur des sequins et des piastres que leur ont jetés les osmanlis en extase.

La course était indiquée pour cinq heures, mais l’on