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VOYAGE EN ESPAGNE.

avaient pourtant été lavées par sept eaux, por siete aguas. Siete Aguas était le nom du chien, ainsi désigné parce qu’il léchait si exactement les plats, qu’on eût dit qu’ils avaient passé sept fois dans l’eau ; il fallait que ce jour-là, il se fût négligé. Les lévriers de la ferme étaient assurément de cette race.

L’on nous donna pour guide un jeune garçon qui connaissait parfaitement les chemins et nous conduisit sans encombre à Ecija, où nous parvînmes vers les dix heures du matin.

L’entrée d’Ecija est assez pittoresque ; l’on y arrive par un pont au bout duquel s’élève une porte en arcade d’un effet triomphal. Ce pont traverse une rivière qui n’est autre que le Genil de Grenade, et qu’obstruent des ruines d’arches antiques et des barrages pour les moulins ; quand on l’a franchi, l’on débouche dans une place plantée d’arbres, ornée de deux monuments d’un goût baroque. L’un consiste en une statue de la sainte Vierge dorée et posée sur une colonne dont le socle évidé forme une espèce de chapelle, enjolivée de pots de fleurs artificielles, d’ex-voto, de couronnes de moelle de roseau, et de tous les colifichets de la dévotion méridionale. L’autre est un saint Christophe gigantesque, aussi de métal doré, la main appuyée sur un palmier, canne proportionnée à sa grandeur, et portant sur l’épaule, avec les contractions de muscles les plus prodigieuses et des efforts à soulever une maison, un tout petit Enfant Jésus d’une délicatesse et d’une mignonnerie charmantes. Ce colosse, attribué au sculpteur florentin Torregiani, qui écrasa d’un coup de poing le nez de Michel-Ange, est juché sur une colonne d’ordre salomonique (c’est le nom qu’on donne ici aux colonnes torses), de granit rose tendre, dont la spirale se termine à mi-chemin en volutes et en fleurons extravagants. J’aime beaucoup les statues ainsi posées ; elles produisent plus d’effet, se voient de plus loin et à leur avantage. Les socles ordinaires ont quelque chose de massif