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VOYAGE EN ESPAGNE.

moins rébarbatives. Un fragment de leur conversation, que nous surprîmes, nous montra que leurs sentiments étaient assortis à leur physique. Ils demandaient à l’escopetero, croyant que nous n’entendions pas l’espagnol, s’il n’y avait pas un coup à faire contre nous, en allant nous attendre quelques lieues plus loin. L’ancien associé de José Maria leur répondit d’un air parfaitement noble et majestueux : « Je ne le souffrirai pas, puisque ces jeunes gentilshommes sont de ma compagnie ; d’ailleurs, ils s’attendent à être volés et n’ont avec eux que la somme strictement nécessaire pour le voyage, leur argent étant en lettres de change sur Séville. En outre, ils sont grands et forts tous les deux ; quant à l’employé des mines, c’est mon ami, et nous avons quatre carabines dans la galère. » Ce raisonnement persuasif convainquit notre hôte et ses acolytes, qui se contentèrent pour cette fois des moyens de détroussement ordinaires permis aux aubergistes de toutes les contrées.

Malgré toutes les histoires effrayantes sur les brigands rapportées par les voyageurs et les naturels du pays, nos aventures se bornèrent là, et ce fut l’incident le plus dramatique de notre pérégrination à travers des contrées réputées les plus dangereuses de l’Espagne, à une époque certainement favorable à ce genre de rencontres ; le brigand espagnol a été pour nous un être purement chimérique, une abstraction, une simple poésie. Jamais nous n’avons aperçu l’ombre d’un trabuco, et nous étions devenus, à l’endroit du voleur, d’une incrédulité égale pour le moins à celle du jeune gentleman anglais dont Mérimée raconte l’histoire, lequel, tombé entre les mains d’une bande qui le détroussait, s’obstinait à n’y voir que des comparses de mélodrames apostés pour lui faire pièce.

Nous quittâmes la Carlotta vers les trois heures de l’après-midi, et le soir nous fîmes halte dans une misérable cabane de bohémiens, dont le toit était formé de simples branches d’arbre coupées et jetées, comme une espèce