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VOYAGE EN ESPAGNE.

couleurs. Ferdinand VII avait fondé à Séville un conservatoire de tauromachie, où l’on exerçait les élèves d’abord sur des taureaux de carton, puis sur des novillos avec des boules aux cornes, et enfin sur des taureaux sérieux, jusqu’à ce qu’ils fussent dignes de paraître en public. J’ignore si la révolution a respecté cette institution royale et despotique. ― Notre espérance déçue, il ne nous restait plus qu’à partir ; nos places étaient retenues sur le bateau à vapeur de Cadix, et nous nous embarquâmes au milieu des pleurs, des cris et des hurlements des maîtresses ou femmes légitimes des soldats qui changeaient de garnison et faisaient route avec nous. Je ne sais pas si ces douleurs étaient sincères, mais jamais désespoirs antiques, désolations de femmes juives au jour de captivité, ne se laissèrent aller à de telles violences !




XV

Cadix. ― Visite au brick Le Voltigeur. ― Les Rateros. ― Jérès. ― Courses de taureaux embolados. ― Le bateau à vapeur. ― Gibraltar. ― Carthagène. ― Valence. ― La Lonja de Seda. ― Le couvent de la Merced. ― Les Valenciens. ― Barcelone. ― Retour.


Après les voyages à dos de mulet, à cheval, en charrette, en galère, le bateau à vapeur nous parut quelque chose de miraculeux dans le goût du tapis magique de Fortunatus ou du bâton d’Abaris. Dévorer l’espace avec la rapidité de la flèche, et cela sans peine, sans fatigue, sans secousse, en se promenant sur le pont et en voyant défiler devant soi les longues bandes du rivage, malgré les caprices du vent et de la marée, est assurément une des plus belles inventions de l’esprit humain. Pour la première fois peut-être, je trouvai que la civilisation avait son bon