Page:Gautier Parfait - La Juive de Constantine.djvu/14

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tend que toi pour commencer les hostilités…

Ben Aïssa[1] Eh bien ! l’on attendra encore ou l’on commencera sans moi…

Bou Taleb. Quoi ! tu refuses de te joindre à nous ?

Ben Aïssa. Tu l’as dit, je refuse… Une fois vaincus déjà, nous avons dû contracter un pacte avec ces Chrétiens… Attendons, au moins, pour le rompre, qu’ils nous fournissent un prétexte.

Bou Taleb. Ne nous Font-ils pas offert ?… Ils avaient promis que nous trouverions, dans leurs villes, refuge et protection, et, chaque jour, quelqu’un des nôtres s’y voit insulté, frappé même, tu le sais !… Quand nous avons demandé justice du meurtre de Bou Marza, tué, l’autre mois, dans une rixe, aux portes de Constantine, qu’a répondu leur gouverneur ? nous a-t-il donné réparation ?

Ben Aïssa. Il a décrété qu’à l’avenir un pareil crime serait puni de mort…

Bou Taleb. À l’avenir… Dérision !… Et tu oses le répéter de sang-froid ? l’indignation ne te monte pas au cœur ? Ce que l’on dit de toi est donc vrai ?

Ben Aïssa. Et que dit-on de moi ?

Bou Taleb. Que la fréquentation de ces roumis t’a gâté… qu’infidèle à tes serments et à ton Dieu, tu es devenu l’ami des Français !

Ben Aïssa. Ils me laissent une place à l’ombre pour dormir, et à la mosquée pour prier…

Bou Taleb. Honte et malheur ! c’est un descendant du Prophète, le vaillant cheik Ben Aïssa, que j’appelais mon ami, dont je m’honorais d’épouser bientôt la sœur, c’est lui qui se résigne ainsi à la domination étrangère !

Ben Aïssa. Dieu le veut ! Les Chrétiens sont les plus forts… obéissons à la fatalité.

Bou Taleb. Ils sont les plus forts ! et voilà pourquoi tu abandonnes tes frères, les vrais croyants ? pourquoi tu refuses de suivre l’étendard de la guerre sainte ? Traître et lâche !

Ben Aïssa Bou Taleb !… (Il va pour s’élancer sur lui et se rassied soudain.) Tiens, laisse-moi en repos !

Bou Taleb. Soit nous nous battrons sans toi.

Ben Aïssa. Vous battre ! et vous n’avez ni poudre ni fusils !

Bou Taleb. Nous en aurons bientôt, je l’espère… Un convoi de munitions part demain de Constantine pour Philippeville… il ne dépassera pas le ravin des Tou-Miett !

Ben Aïssa. Eh bien, bonne chance !

Bou Taleb. Oui, qu’Allah nous soit en aide ! car celui qui commandera l’escorte a déjà tué impunément plus de vingt de nos frères, les plus beaux, les plus braves ! Puisse ma balle rencontrer sa poitrine ! Le sang des morts crie vengeance contre ce Maurice d’Harvières !

Ben Aïssa Maurice d’Harvières, as-tu dit ?

Bou Taleb. Lui-même, qui là, tout à l’heure, a reçu devant moi un ordre de départ…

Ben Aïssa. Oh ! alors, oublie ce que je viens de te dire… oublie-le !… c’était une ruse, un mensonge…

Bou Taleb. Est-il possible ?

Ben Aïssa. Oui, je hais, j’abhorre les Français !… Tu as raison, le moment est propice pour la révolte… nous aurons des armes, nous vaincrons ! Maurice d’Harvières !… Oh ! je serai demain au ravin des Tou-Miett Dou Taleb, tu peux compter sur moi !…

On entend sonner une cloche ; la foule envahit bruyamment la place du Fondouk ; Bou Taleb fait à Ben Aïssa signe de se taire.


ACTE DEUXIÈME.


Première Partie.


L’intérieur de la maison de Nathan. Une cour dans le style moresque. À gauche, la baie d’un escalier ; du même côté, une petite porte ; à droite, la chambre de Léa ; près de la porte d’entrée, qui fait face au spectateur, est suspendu dans un étui de bois, suivant la coutume juive, on rouleau de parchemin contenant des extraits du Talmud.



Scène PREMIÈRE.


LÉA, BETHSABÉE.

Au lever du rideau, Léa est assise et se tient immobile, dans l’attitude de la contemplation ; un ouvrage de broderie est tombé à ses pieds.

Bethsabée Encore plongée dans cette rêverie extatique où la vie semble s’arrêter… Quels mondes inconnus parcourt en ce moment sa pensée ?… Léa ! ma chère fille !

Léa. Ah ! c’est toi, Bethsabée… Je ne te voyais pas…

Bethsabée. Vous paraissiez absorbée…

  1. * Ben Aïssa, Bou Taleb.