Page:Gauvreau - Captive et bourreau, paru dans La Gazette des Campagnes, 1883.pdf/103

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

peu que cette supposition que ce fut George, pourtant Alexandrine sentit son cœur tressaillir de joie. Elle sortit ; le premier être aperçu en sortant, ce fut le fils de la sauvagesse. Elle eut le frisson, quand elle vit les yeux de ce monstre hideux se fixer sur elle et l’envelopper d’un regard profond et scrutateur. Elle ne s’expliquait pas la répugnance invincible ressentis à la vue de cet être difforme qui paraissait pourtant bien inoffensif. Elle le redoutait comme on craint une vipère. Elle n’osait plus maintenant se promener seule.

Pourtant Alexandrine faisait un effort suprême pour vaincre cette terreur vague et indéfinissable ; elle se prit à arpenter l’avenue, plongée dans une mer de souvenirs et de pensées diverses. George, toujours George au fond de sa pensée. C’était sa vie à elle, et l’absence au lieu de diminuer l’amour qu’elle ressentait pour lui, n’avait fait qu’augmenter.

Longtemps la jeune fille promena sa profonde rêverie à travers la sombre allée qui criait sous ses pas. Les oiseaux avaient tu leurs chants sous la ramée. Des senteurs, partant des bois et des grèves, et apportés par une brise douce et calme, venaient rafraîchir le front de la jeune fille et sécher ses larmes. Je suis née pour la souffrance, disait-elle tout bas. Oh ! pourquoi l’avoir laissé partir ? Quoi ! j’ai pu lui dire : « Pars George, notre avenir le demande. » Oh ! non, non. Eh ! quoi, mon amour n’a pu faire taire la raison pour le retenir aux lieux où nous nous sommes connus, pour nous aimer ? Brisée, suffoquée par un poids énorme, elle tomba sur