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le banc qu’ombrageait un large peuplier dont les rameaux bourgeonnés laissaient filtrer jusque sur le sable de l’avenue les rayons blafards de la lune dans son premier quartier. Alexandrine ressentait une douleur indicible : un cercle de fer semblait entourer sa poitrine oppressée. Mon Dieu ! pourquoi cette souffrance inaccoutumée ? J’ai coutume de mettre plus de résignation dans mes souffrances journalières. Il me semble que quelque chose de nouveau va surgir dans ma vie. Mon Dieu ! sont-ce de nouvelles souffrances ? que votre volonté soit faite ; et elle tomba à genoux en priant : une prière ardente s’échappa de son cœur, et plus résignée, plus calme, elle se prit à rêver. Si George était ici, du moins. Mais non. Et ces navires qui ont remonté le fleuve…

Un bruit s’est fait entendre. La porte du jardin s’est ouverte. Alexandrine est déjà debout, tremblante, prise à fuir. Le cœur lui fait mal. Pourtant elle est brave. Serait ce le fils de la sauvagesse ? Non, dans les ombres du soir elle a cru reconnaître Pierre, le serviteur de la maison qui, tous les soirs, allait veiller chez le voisin. Pauvre Pierre, je vais lui dire de prier bien fort pour moi. Il sait que j’aime mon George ; en priant pour moi il ne l’oubliera. Et toute confiante, elle lui cria : Pierre, n’est-ce pas que vous prierez ce soir pour moi ? Vous êtes bon ; demandez au ciel qu’il me rende mon George, car je me sens mourir ne le voyant pas revenir.

Pierre ne parlait pas, mais il avançait toujours.

Vous ne m’écoutez pas. Pierre que ne répondez-vous pas à ma voix.

Hélas ! répond l’arrivant, cinq ans d’absence m’ont-ils changé à ce point Alexandrine, que tu ne