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grande partie de son temps à la pauvre folle qui semblait se plaire auprès de George qu’elle reconnaissait à certaines heures, pour le méconnaître quelques instants après et retomber dans la nuit profonde de l’oubli.

À ces heures de lucidité, c’était toujours une douce ivresse pour ce pauvre George, quand Alexandrine entourait son cou, pressait ses lèvres décolorées sur le front pâle de son mari, en lui disant : Nous souffrons, mon George, mais nous nous aimons, et Dieu nous rendra Armande ; puis la nuit se faisant dans son âme, elle se prenait à divaguer. C’était toujours les mêmes caresses, les mêmes paroles, le même regard : et c’était fugitif et passager comme l’éclair qui fend la nue.

Revenue à son état de folie douce et pleine de quiétude, quand elle ne divaguait pas, elle berçait en chantant le « Vallon, » et toujours George voyait sa figure se couvrir de grosses larmes.

George, au milieu de cet atmosphère si lourd de tristesse et de deuil, vit les années lui peser sur le dos. Il maigrissait à vue d’œil, en même temps que toute sa personne prenait une apparence de lassitude et de mélancolie très accentuée.

Dans le village, on n’était pas sans le remarquer. On entendait dire de toute part : George a dans le cœur une tombe qui lui pèse lourdement. À moins d’un miracle, c’est un homme fini qui use sa vie dans un dévouement sans borne. Dieu ne laissera pas tant de bonté de cœur sans récompense, disait un particulier ; il lui rendra Armande, et avec elle la