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possible.

Je suis maudit de Dieu et des hommes, disait Mélas. Le ciel aurait-il permis que j’aimasse cette enfant pour qu’on me fit souffrir la peine du talion ? Je n’ai plus de paix, la joie me fuit, et le cœur brisé je descends tristement le sentier de la vie. Un instant j’ai cru ensevelir le passé sous l’immense joie en voyant Fleur-du-mystère m’appeler son père et me combler de caresses. Comme mon cœur palpitait de sincère ivresse alors ; mais hélas ! une heure a tout détruit. Le remords a repris son empire avec la sombre passion de la jalousie, depuis qu’elle m’a avoué l’amour de Laurent. C’est un enfer pour moi que cette pensée : « elle l’aime ! » Cet amour de Laurent sera la clef qui fera tout connaître à Fleur-du-mystère. La Chouette se vengera, car il ne serait pas un digne enfant des bois, et Bison-des-Plaines a épousé son affront. Je me suis cru fort, mais voilà que je sens ma faiblesse. Fleur-du-mystère saura tout et elle me méprisera, et plutôt mourir que de la voir s’éloigner en me disant : « Va, tu n’es pas mon père. » Que faire, que faire ? La débarrasser de la vie ? Horreur ! n’y a-t-il pas assez de crimes dans ma vie ? Alexandrine ! Alexandrine ! pourquoi m’avoir repoussé de tes bras ? ton amour aurait fait de moi un honnête homme ; ton dédain m’a conduit dans la voie du crime, et Dieu sait où je m’arrêterai. Mais la tombe arrête tout, et qui sait si elle n’est pas proche. Allons ! pas d’attendrissement. Envisageons de sang-froid ma situation. Il ne me reste qu’un moyen : fuir cette nuit même et gagner Tadoussac, pour m’enfoncer avec Fleur-du-mystère dans l’intérieur. J’irai établir ma tente sur les bords du lac Kenogami, et j’y serai en paix. Allons ! à la grâce de Dieu. — Dieu ? ai-je bien prononcé ce nom ? Oh !