Page:Gauvreau - Captive et bourreau, paru dans La Gazette des Campagnes, 1883.pdf/20

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— Vous parlez comme un sage.

— Oh ! voyez-vous, l’accoutumance, quand je dis l’avenir avec les cartes.

— Comment, vous tirez aux cartes ?

— Comme de bonne raison, et c’est pas ce qui me rapporte le moins. C’est pas pour dire non plus… mais tenez, il y a un an, je disais à une jeune fille de St-Charles, par en haut, qu’elle serait malheureuse avant peu. Eh ben, depuis c’temps, j’ai appris que sa grand’mère l’avait battue comme qui dirait à plate couture, à lui faire craquer les os.

— Pourquoi ?

— Ben dame pourquoi ? parce qu’elle est riche et que les enfants, à sa belle mère, n’ont rien.

— Saviez-vous qu’elle avait une belle-mère ?

— Dame, ben sûr, je le savais.

— Oh ! alors, ce n’était pas difficile de prédire.

— Et ce n’est pas tout, allez !

— Mais, père, reprend madame Boildieu, ce n’est pas chrétien, ce que vous faites là, c’est un vilain métier.

— Oh ! ma bonne dame, si vous saviez comme je ne fais pas de mal : c’est pour gagner ma vie.

— Mais, quêtez plutôt. Connaissez-vous les conséquences de ces choses là ? Une pauvre enfant arrive et vous tend la main, car je suppose que vous lisez dans la main comme sur le front, et parce que la nature a voulu bien innocemment que la disposition des lignes fut de telle manière ou de telle autre, aussitôt vous lui dites ce qui vous passe par la tête. Si c’est beau et joyeux, tant mieux, car vivre de ces illusions ou s’en former d’autres soi-même, c’est toujours la même chose ; mais si vous vous avisez, pour faire digression, de lui dire de ces choses tristes qui font mal au cœur, elle vous