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du départ.

Enfin, par un hasard plus ou moins fortuit, nos deux enfants se trouvent seuls au grand salon orné à l’antique. Dans cette heure décisive et pleine de larmes pour deux âmes qui allaient être longtemps séparées, il leur était bien permis de se parler sans oreilles indiscrètes.

— Pauvre enfant, dit George, demain, à cette heure qui me retrouve auprès de toi, j’aurai mis l’espace entre toi et moi, un espace infranchissable, que la pensée seule pourra anéantir en revenant auprès de toi ; oui, demain, à cette heure, j’aurai pris le chemin de l’exil volontaire.

— Je le sais que trop, George. Mais je me souviendrai que le poëte a dit quelque part :

Pour venir au repos, il faut avoir souffert.

Eh bien ! je serai forte, parce que je veux goûter mieux le bonheur après avoir souffert.

— Ces paroles, ma chère Alexandrine, me font du bien au cœur. Elles relèvent mon moral déjà trop affaibli par des larmes amères. Jusqu’ici j’ai combattu contre mes parents qui ne voulaient pas me voir suivre cette carrière ; j’ai eu la force de lutter et de mettre à néant tous les arguments que pouvait mettre en avant leur cœur éploré ; mais aujourd’hui que je suis en présence de ce départ qui me brûle, je regrette presque d’avoir tant combattu ce projet qui va me séparer de toi pour longtemps.

— Non, mon George, sois courageux ; une brave Canadienne, forte comme ses ancêtres, ne t’affligera pas par ses larmes, une main sur mon cœur brisé pour en comprimer les sanglots et en étouffer la plainte, je te dis : « Va, suis l’appel de Dieu. Moi, je resterai au foyer solitaire, priant et attendant le