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en ce jour solennel, de déposer à vos pieds mes vœux et mes hommages !

— Mais, monsieur, vous n’êtes pas mon neveu ! je ne vous connais pas !

— Non, chère tante, je ne suis pas votre neveu ; mais je le remplace : je suis Canichon, portier, rue du Grand-Hurleur, et je suis employé de la compagnie des compliments de famille. — Souffrez, chère tante, que je vous embrasse.

— Monsieur… une pareille plaisanterie…

— Il n’y a pas de plaisanterie qui tienne… je suis payé pour vous embrasser, — je veux faire l’ouvrage. — Voyons, pas de façons et finissons vite : j’ai encore beaucoup à embrasser dans votre rue.. (Il l’étreint avec force.) Chère tante ! — à l’année prochaine ! »

Cette fantaisie vous paraît absurde ; — eh ! mon Dieu, savez-vous bien ce qui lui manque pour être un témoignage de déférence ? D’être un usage. — Vous acceptez volontiers la carte de votre ami, par procuration ; pourquoi seriez-vous révolté d’accepter des caresses par substitution de personne ?

Au milieu de tous les mensonges des derniers jours de l’année expirante et des premiers jours de l’année naissante, il y a toutefois une joie pure, naïve et communicative : c’est celle de ces charmants enfants si heureux de leurs tambours, de leurs poupées et de leurs chiens en sucre. — Embrassons bien et comblons ces petits êtres qui nous consolent de leurs pères et surtout de leurs terribles mères, cotées dans vos obligations à la boîte de 40 francs.

Quel luxe ! quelle indigence ! quelles misères et quelle absurdité ! — Un pauvre diable, sans feu et sans chemise, met son matelas au mont-de-piété pour donner du carton doré à une femme riche de cent mille livres de rente, comblée et ennuyée de ces dons à n’en savoir que faire, apitoyée, d’ailleurs, par cette pauvreté qui s’épuise pour une offrande qu’elle serait révoltée de ne pas recevoir. — Tout le long de l’année, on pardonnera beaucoup à ce pauvre diable, on excusera ses gants sales, sa cravate croisée sur la poitrine, et son habit maintenu par toutes les ficelles du désespoir ; — mais, à cette épreuve terrible du jour de l’an, qu’il ne s’avise pas d’être philosophe et de vouloir dominer le préjugé ; le grand mot sera lâché, on dira qu’il a fait une cochonnerie ! — Dans notre société, un homme dont les vices font causer tout bas et tout haut n’est pas pour cela impossible ; — mais un homme qui a fait une cochonnerie est un homme perdu et noyé.