Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/109

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Comme les plus grandes stupidités ont leur côté utile, il faut convenir que cet impôt du jour de l’an, par cela même qu’il est forcé et qu’il exerce sa contrainte sur les plus rebelles et les plus indigents, favorise, dans le commerce et l’industrie, un mouvement considérable. — Les sommes immenses qui se dépensent ainsi en futilités se répartissent sans doute d’une façon un peu léonine. Quelques magasins en renom engloutissent des millions ! — mais la matière première, mais la main-d’œuvre ont d’abord fait descendre beaucoup de gros sous dans les classes indigentes. — Depuis quelques années, d’ailleurs, l’autorisation d’élever boutique en plein vent a créé des ressources à une foule de pauvres ouvriers qui viennent débiter eux-mêmes leur confection sur les boulevards et les quais, transformés en champ de foire. — C’est en outre, un spectacle très-curieux et très-pittoresque ; — polichinelles d’occasion, sucres d’orge au rabais, manchons en poil de chat, chancelières en peau de chien, gants en poil de lapin, tout est là, tout vient là. Dans huit jours, tout sera vendu, sucé, dépecé, éventré, et ce sera à recommencer l’année prochaine. — Et c’est un bruit, un vacarme, des interpellations qui se croisent, des voix vaillantes à midi et enrouées à minuit.

« Voilà, messieurs ! achetez pour neuf sous la joie et le triomphe des enfants et la tranquillité des parents ! »

Quel père de famille peut se refuser à acheter sa tranquillité pour neuf sous, avec le triomphe de son enfant par-dessus le marché ?

Il y a toutefois des pères de famille qui se maintiennent sévèrement dans le système des étrennes utiles. — Ce seul mot fait frémir l’enfant qui connaît la ficelle. — L’étrenne utile consiste à prendre l’héritier sur ses genoux, et, après l’avoir baigné de larmes et inondé de caresses, à lui dire d’une voie émue : « Toto, vous avez sept ans, vous n’êtes plus un enfant. — Ce n’est pas vous qu’on surprendrait à demander des bonbons malsains ou à jouer comme le fils de la portière avec une souris artificielle, qui a de la poix sous la queue. Vous méprisez également les serpents en moules de boutons et les diables qui ont une langue dentelée en drap rouge. Soyez béni, Toto, pour cette raison précoce qui vous élève au-dessus du vulgaire ! — J’ai résolu, Toto, de vous acheter un homme pour la circonscription, et, à l’occasion du jour de l’an, voilà dix francs… que je mets à la masse… »

Toto enfonce ses doigts dans ses yeux et trépigne un peu en réclamant un pantin. Le père prétend que c’est une lubie qu’il faut laisser passer.